Mardi 5 juin- 18h30 | L'IFJ Romain Gary accueille Rony Klein
« Mai-68 se situe à la charnière de deux âges. D'un côté, il hérite de la tradition révolutionnaire, française mais aussi européenne, issue de la Révolution française. La rhétorique de Mai est très souvent révolutionnaire, et les slogans scandés par les manifestants, « le pouvoir est dans la rue », « une seule solution, la révolution », témoignent bien de cette tradition très vive, qui appelle au « grand soir ». Les multiples mouvements étudiants qui ont animé le mouvement, qu'ils soient trotskistes, maoïstes, ou simplement marxistes-léninistes, se réclament tous de l'héritage révolutionnaire, et des diverses formes qu'il prit, essentiellement au 20e siècle. Toutefois, d'un autre côté, la masse des étudiants semble assez indifférente à ce discours idéologique dur. Les manifestants dans leur ensemble ont plutôt pris ce mouvement pour une immense fête où tous les désirs de la jeune génération se réalisaient, où on donnait congé à l'autorité ancienne, surtout celle des maîtres de l'université, mais pas uniquement. Ainsi, Mai se révélait, à l'insu même de la plupart de ses dirigeants, comme un mouvement entièrement inédit, qui laissait paraître de nouvelles formes de contestation, moins politiques au sens traditionnel, mais plutôt culturelles et sociales. Ainsi, Mai a donné naissance à toutes les libéralisations. On a parlé de libération sexuelle, mais il s'agit de bien plus que cela. Derrière le discours sur la sexualité, c'est l'ensemble du mouvement des femmes – le MLF – qui faisait une entrée fracassante sur la scène de l'Histoire, tout comme le discours des homosexuels, des immigrés, des prisonniers, et bien d'autres. En vérité, Mai a donné la parole à toutes les minorités, et il n'est pas anodin qu'il ait permis également une certaine libération des voix juives, qui prenaient conscience d'elles-mêmes à sa suite. C'est que Mai faisait craquer les cadres rigides de la société française, enfermée dans le carcan d'une République « une et indivisible ». Le discours de libéralisation allait faire voler en éclats cette représentation ancienne, et donner naissance à un paysage culturel où les minorités allaient enfin prendre la parole et entamer des luttes décisives. Mai-68, loin de n'être qu'un mouvement d'étudiants limité, a en ce sens contribué à modifier en profondeur les mentalités et les discours de la France contemporaine. Cette conférence sera l'occasion de faire le point sur Mai-68, cinquante ans plus tard, et de nous demander : Qu'avons-nous hérité de Mai-68 ? Qu'avons-nous perdu depuis ? »
Rony Klein
Rony Klein est docteur en philosophie, professeur de philosophie et de littérature française à l’Université hébraïque de Jérusalem ainsi qu'à l’Université de Tel Aviv. Ses thèmes de recherche portent sur plusieurs domaines : la philosophie française du 20ème siècle (et particulièrement Sartre, Derrida, Lyotard, Deleuze et Lévinas), la pensée juive-française contemporaine – sujet autour duquel il a publié Lettre, corps, Communauté (Editions Resling, 2014) – et la tradition allemande entre Hölderlin et Nietzsche. Rony Klein a étudié à l’Université Paris-Sorbonne et à l’Université hébraïque de Jérusalem.